[...] Si Source m'avait vue agonisant sur le trottoir avec mon trou béant, comme un puits pissant le sang, inondant la surface de mes jambes...
Vous savez, j'ai finalement un goût pour la vie parce que s'il avait fallu mourir! De toute manière, je n'ai pas eu peur de la mort après avoir été renversée. Je voulais me tirer vite. Je me savais en tort.
Je me tordais de douleur. Le gars m'a portée. J'avais tellement mal que j'ai pas pu me relever. J'aurais pu rester avachie sur la chaussée sans bouger.
Cet accident est arrivé tellement vite.
Le moment le plus dramatique, c'était quand j'ai foncé et que j'ai vu la voiture. Trop tard. J'ai été projetée contre le capot - il était blanc - puis repoussée par terre. Quelle horreur. Si j'avais pu faire autrement.
Vous savez à présent, je réfléchis et j'arrive à une conclusion dingue mais pas impossible: mon accident pouvait très bien être évité, et ma véritable intention était de me suicider, de me faire mal. Car j'ai parlé avec les autres et dit: «Si au moins j’avais pas été poster ces lettres!» mais intérieurement, je sais que si ça n'avait pas été à ce moment, ç'aurait été à un autre.
A chaque coup, j'étais pas prudente. Plusieurs fois, j'ai fait freiner des caisses au dernier moment.
Mais je me sens innocente. Vous vous rendez compte, être blessée comme ça! Ça fait super peur les bagnoles. C'est dingue comme un petit cycliste est vulnérable par les caisses. D'un côté, je suis terriblement traumatisée par cet accident. Il aurait tellement pu être évité. Quelle négligence de ma part. C'est sûr...
Et puis je vais mieux moralement (c'est infime) car j'ai un problème concret. Je sais ce qui va pas parfaitement et ça vient pas trop de ma tête.
Je suis vachement impressionnée quand même. Je revois pêle-mêle et en accéléré l'accident quand la voiture est arrivée sur moi. Bouh! Ça fait peur.
Heureusement que j'avais un pantalon. Cette si grosse voiture! Elle aurait pu me tuer. Ce que je suis obsédée par cette histoire.
Tout le monde a l'air de s'en foutre. Moi, je tremble. J'ai en plus tellement mal physiquement. Entre nous, j'aurais aimé qu’elle me voie tout à l'heure sur le trottoir! Pourquoi? Parce que c'est la seule qui aurait vraiment réagi à mon accident. C'est très grave ce qui m'est arrivé. Et tout le monde a déjà oublié... sauf moi...
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(Gisèle Grimm, la transcriptrice)