Dans son long journal (1977-1983), Ariane Grimm adorait se poser des questions à la façon d'un interviewé. Voici le type de questions qu'elle se posait à elle-même
à 15 ans:
VOUS AIMEZ VOTRE PHYSIQUE?
- Oui et non. Au fond de moi-même, je m'aime profondément. Je me
préfère à Sophie Marceau, mais très souvent, après un coup de cafard, je n'aime pas du tout ma gueule. Je me trouve plein de défauts. Je deviens excessivement complexée.
(Juin 1983: pas de problème. Je m'adore et j'assume de plus en plus mes défauts.)
Faut pas exagérer! Ariane n'a pas perdu son temps. La preuve, en écrivant comme elle l'a fait dans ses cahiers de mémoire, cela a
suscité pas mal d'intérêt parmi les Chercheurs... qui cherchent et qui trouvent: regardez!
Mais Arianne est pessimiste! Elle écrit dans "Pommes", son cahier de mémoire:
Dimanche 26 octobre 1981(14 ans)
[...] J’ai envie de partir avec ma
chambre vachement loin... de piller les magasins, de voler des habits (étant invisible), et puis aller me venger de certains. Mais vraiment, j’en ai marre de souffrir, j’en ai marre de mes
phantasmes : monstres, personnes hideuses. Ce sont des pensées qui me trottent dans la tête, qui sortent dans mes rêves, qui me font horriblement mal, que j’essaie de chasser de mon
esprit.
Vous savez, je ne sais comment écrire… je n’aime pas écrire…
j’écris mal… J’ai eu des points de moins à ma rédact pour mon écriture. C’est dégueulasse. Je reste devant la feuille de la Pomme [nom du journal] sans rien écrire. Je perds mon temps,
mais même je ne pourrai pas travailler, ma vie est courte… on ne vit pas longtemps… et que suis-je devant l’humanité ? Je suis une parcelle de milliards de l’univers… et c’est
bizarre que cette petite chose soit malheureuse.
Ça se traduit comment ? Je suis démoralisée, culpabilisée,
froissée, frustrée, blessée, bouleversée… J’aimerais qu’une fille mignonne blonde reste avec moi tout le temps – que nous partions au bahut ensemble, rêver ensemble, monter en cours ensemble, et
la suite…
J’aurais vraiment besoin de ça, qu’elle s’occupe de moi
seulement, qu’elle dise pas bonjour aux autres… Lili chienne... je regardais ses photos sur le mur. Elle est mignonne. Voui, voui… j’écris ce qui me passe par la tête.
[...]
Gisèle Grimm,
transcriptrice et mère d'Ariane Grimm
Ariane se pose la question dans son journal (17 cahiers, je le rappelle).
Et voilà ce qu'elle répond dans son cahier.... surnommé "Pommes":
Vendredi 16 Octobre 1981 (14 ans)
Comme on dit, je n’ai pas « soif de vivre » et
sincèrement, je me demande pourquoi je vis…
Pourquoi toujours travailler ? Sans fric, on ne peut rien
faire, alors il faut travailler, travailler toute sa vie. Sauf quand on est vieux, mais quand on est vieux, on ne peut plus profiter de son temps libre comme avant. Je ne suis jamais heureuse...
peut-être contente. J.F m’a expliqué un truc. Quand on est à la maternelle, on pleure puis c’est tout oublié, on rit… Et pourquoi, nous, quand on pleure, ça fait mal pendant très longtemps ?
Parce qu’il y a eu avant un passé, une accumulation, la mémoire d’un échec… Mais moi, je souffre continuellement.
Si je me retirais ? Oh ! non ! ça ferait trop de
mal à Gisèle ! elle aurait fait tout ça pour rien. Mais je me dis : tu restes à t’emmerder sur terre juste pour elle ?
Au fait,
lorsque je pense au suicide, j’imagine toujours que ça emmerdera Gisèle et pas les autres… bizarre…
Les courses. Quand on fait une course, bien sûr, il faut gagner. Alors prenez des forces. Dans un bol, prenez du lait chaud. Ne
surtout pas se forcer. Alors au départ, allez doucement. Ne faites pas attention aux autres qui courent en avant. [...] Ariane Grimm : 8 ans -dans son recueil intitulé: "Potions"
En effet,aujourd'hui à Londres,au départ du marathon,grace au bon conseil d'Ariane Grimm (donné en 1975...),l'Ougandais Stephen Kiprotichest "allé doucement. Il n'a pas fait attention aux autres"...
Résultat : Alors que l'on attendait un nouveau duel entre Kényans et Ethiopiens, il a grillé la politesse aux
meilleurs coureurs des haut-plateaux pour offrir à son pays la 2e médaille d'or olympique de son histoire et clôturer l'athlétisme par une nouvelle page d'histoire - et cela, je le répète, grace au bon conseil d'Ariane Grimm!
Gisèle Grimm, mère d'Ariane (et qui adore les jeux olympiques)
Ah la la!!! Ariane a tout gardé, tout archivé... et tout commenté... Par exemple, dans un dossier intitulé:
"Ce qui concerne
maman"
voilà ce qu'on peut trouver :
"Gisèle(moi, sa mère...)a
toujours eu beaucoup de mal à se contrôler. Elle me criait dessus sans arrêt et ces feuilles prouvent son rappel à une meilleure conduite:"
Punaisée au mur, on peut lire
cette troublante recommandation :
L'agressivité de l'enfant contre les biens, parfois
contre les personnes, est l'expression d'une immense protestation affective contre sa situation.
Ariane Grimm aimait raconter des histoires. Très bavarde, elle en inventait, inventait... ou tout simplement, écrivait dans
son journal ce qui s'était passé:
Juillet 1979: 12 ans:
Comme d'habitude, je sors Tello, le chien de Madame Lacroix, et puis, pour une fois, je me mets à vélo comme ce
chien peut courir très vite.
Mais malheureusement, sur la grande barre du vélo
de course de papa, je ne suis pas bien assise. Le chien me tire sans que j'ai à pédaler, je suis emportée... mais ce chien me tirant trop sur le côté, je vais bientôt tomber dans le
fossé!
Tenant de toutes mes forces la chaîne d'une seule main en criant: “Mathias, je vais
lâcher! Mathias [Le petit frère!], ça tire trop fort!"... en effet, n'ayant pas eu le temps de faire 0 tour de poignet avec la chaîne, je
commence à faiblir, le chien galopant de plus belle...
Allant tomber, je lâcha et le chien bondit en s'échappant.
"Il va aller sur la "grand-route", sur la Nationale! Mathias! C'est horrible!"
Mais j'aurais encore préféré qu'il ait été sur la grand-route car il se dirigea vers
un pré où des taureaux ruminaient tranquillement.
Je serra Mathias contre moi de peur et hurla: "Tello!" Mes larmes commencèrent à couler
d'angoisse.
Les taureaux détournèrent la tête vers Tello pendant que je m'égorgea à crier
son nom. Mathias et moi restaient sur la route au tournant, trépignant d'impuissance aux taureaux qui maintenant se levaient.
"Oh! regarde! cria-je horrifiée, les taureaux commencent à se lever vers Tello et à
l'encercler!" Surtout le marron, "la terreur des hommes, expliquait Eric, le plus terrible des taureaux", était en tête.
Je fus horrifiée.
Le chien continuait à courir... les taureaux derrière.
Je fus sur le point de croire que le chien allait revenir sur moi, les taureaux et les
vaches courant derrière, mais il préféra poursuivre la poursuite que de revenir vers moi...
Le bétail galopant se rapprochant de Tello, il sauta au champs voisin et longea la
clôture de sa plus grande vitesse.
Je courus à toute vitesse pour coincer le chien à l'angle du pré.
Afin de ne pas passer un dimanche sans parler un peu de son journal, en voici une petite page (du journal d'Ariane Grimm
bien sûr):
Mercredi 31 juillet
(1982):
Je roulais à vélo et puis je me disais:
« Putain! quelle vitesse. Si j'avais une bécane, vous vous imaginez la flambe! Tiens, il n'y a pas de voiture, profitons-en pour tourner
d'un seul coup sans freiner! »
Et VLAM! Une caisse me saccage, me renverse sur la chaussée. Je suis traînée sur
le trottoir sous les regards de tous les passants. C'est atroce. Je sens que j'ai un truc cassé tellement j'ai mal. C'est intolérable. Je râle de douleur. Une auréole gigantesque tache mon fut’
blanc. Le conducteur m'aide à le virer. Atroce! Je ne peux même plus regarder! Je tremble, je sanglote, je vois tout en blanc. Je m'allonge. Les secours sont appelés et j'attends, j'attends...
[...]
Soucieuse de tout répertorier, de tout garder, Ariane nous informe de ce qu'elle faisait écrire à un de ses
baby-sitters quand elle ne savait pas encore écrire :
Voici ce que je faisais écrire à un baby-sitter :
Ma jolie petite maman,
Ce diner [...]
Toi, jolie petite, je t’aime tellement que quand je me sépare de
toi, des fois je pleure dans mon lit la nuit. Tu verras quand tu seras morte, je te mettrai plein de petits cadeaux. J’embrasserai ton beau squelette que je n’ai pas vu encore et que je vais voir
dans si longtemps. Maintenant, je t’embrasse bien fort, toi qui es si gentille et m’a fait plein de belles choses que j’aime. Cet appartement est si beau. Il y a des lampes qui sont magnifiques
et que j’adore. Tu es la plus belle de tout le pays. Je voudrais que tu restes avec moi tous les jours.
Depuis plusieurs jours (et même deux semaines au moins), il m'est impossible d'accéder à l'Administration de mon Ariane Grimm. Et ouf ! cela marche à nouveau!
:
Description : Je suis la mère d'Ariane Grimm (1967-1985), dont vous voyez ici la photo. Ariane est une jeune diariste qui a beaucoup écrit et dessiné dès l’âge de sept ans et demi… et jusqu’à dix-huit ans. Après sa disparition dans un accident de moto, j’ai fait publier les dernières pages de son journal chez Belfond (1987), puis « j’ai lu » (1988), et je publie ici ce qu’elle avait précieusement « archivé » et qu’elle appelait ses «œuvres": des pages de son journal que je présente en liaison avec l'actualité, ses histoires inventées ou... qui se sont réellement passées, ses bandes dessinées, ses conseils donnés dans un "livre de potions"... Vous trouverez aussi toutes les actualités concernant cette petite fille "écrivaine" et dessinatrice.